Inflation, l’onde de choc mondiale
mardi 26 juil. 2022, source : Journal Le MONDE
Intensifiée par la guerre en Ukraine, la flambée des prix génère des tensions sociales dans nombre de pays
D
u Zimbabwe à l’Irlande
en passant par l’Equateur et le Laos, la
hausse des prix nourrit, partout dans le monde, la colère sociale et l’instabilité politique. Aucun continent n’est épargné. Au Sri Lanka, où l’inflation
des prix alimentaires dépasse les
80 % sur un an, et où cinq familles
sur six sont contraintes de sauter
un repas, le président Gotabaya
Rajapaksa a été déchu mijuillet
après avoir fui le pays. En
Ouganda, où le prix de l’essence a
été multiplié par deux ces cinq
derniers mois, plusieurs manifestants ont été arrêtés.
Au Panama, le gouvernement a
obtenu, lundi 18 juillet, la libération des ponts et des autoroutes
par des habitants qui réclamaient
une baisse des prix de l’essence et
d’autres produits « essentiels »
tandis qu’en Equateur, les manifestations de populations indigènes ont fait six morts et plus
de 600 blessés, avant que le gouvernement accepte de débloquer
700 millions de dollars (690 millions d’euros) en faveur du pouvoir d’achat. Plus près de la France,
le groupe Facebook People of Ireland Against Fuel Prices, créé en
Irlande, organise depuis avril des
blocages pour obtenir de la part
du gouvernement un plafonnement des tarifs du carburant.
La hausse des prix s’installe durablement dans l’économie mondiale. Dans les pays développés de
l’Organisation de coopération et
de développement économiques
(OCDE), elle devrait être deux fois
plus forte que prévu au début de
l’année et culminer à 8,5 %
en 2022, niveau jamais atteint depuis 1988. En avril, les trois quarts
des pays ont connu une hausse
des prix annuelle de plus de 5 %.
Fléau économique et politique
Cette vague inflationniste a débuté, en 2020, lorsque la demande stimulée par les plans
postCovid de relance des gouvernements s’est déportée sur les
biens, au détriment des services.
Ce, alors que des usines fermaient
en raison des restrictions sanitaires, désorganisant les chaînes
d’approvisionnement. Le mouvement s’est poursuivi avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie,
deux pays qui assurent une part
importante des exportations
mondiales de produits agricoles
et d’énergie.
Cette surchauffe bouleverse déjà
la vie quotidienne sur les cinq
continents. En Australie, la photo
d’une laitue vendue 11,99 dollars
(8 euros) dans un supermarché de
Queensland a enflammé les réseaux sociaux et déclenché une
minitempête politique. Les Australiens apprennent désormais
sur YouTube comment faire pousser des légumes chez eux et les
restaurateurs recomposent leurs
menus sans courgette, brocoli
ni choufleur, dont les prix ont
flambé. Au Nigeria, où l’inflation
annuelle a atteint 19 % en avril, les
boulangers mélangent à la farine
de blé une farine à base de patate
douce produite dans le pays pour
limiter la hausse de leurs tarifs et
garder leurs clients.
L’inflation est un fléau économique et un danger politique.
« Elle est ressentie par tous les habitants, même si c’est à des degrés divers, ce qui se peut donc se traduire
par un large mécontentement social, selon Philip Barrett, économiste au Fonds monétaire International (FMI). Et encore davantage lorsque cela concerne des
denrées alimentaires non substituables. » L’histoire ne manque
pas d’exemples l’illustrant. En
Allemagne, l’hyperinflation entre
1921 et 1924 déstabilisa la République de Weimar. Dans les années
1980, elle provoqua la chute du
gouvernement en Inde, tandis
qu’en 2011, elle a alimenté les
« printemps arabes ».
« Celle d’aujourd’hui est particulièrement dangereuse car elle est
en grande partie alimentée par des
problèmes d’approvisionnements,
avec une offre inférieure à la demande, sur lesquels les gouvernements ont peu de prise », observe
Matt Sechovsky, analyste senior
spécialisé dans les risques politiques chez Fitch Solutions. Dans
une note récente, le FMI prévient
que la progression plus élevée que
prévu de l’inflation pourrait « enflammer les tensions sociales ».
« Les troubles sociaux représentent
un risque plus élevé que le terrorisme pour les entreprises », renchérit l’assureur Allianz, qui
pointe du doigt la crise du pouvoir
d’achat mais aussi, « l’effet unificateur et galvanisant des réseaux
sociaux », la « polarisation politique » et « la méfiance croissante à
l’égard des gouvernements ».
Les pays émergents et à moyens
revenus sont les plus exposés à
ces risques, selon l’assureur allemand, car ils n’ont plus les
moyens de financer les programmes de protection sociale mis en
place pendant la pandémie, au
moment où leurs habitants souffrent de la hausse des prix de l’essence et des denrées alimentaires.
Alors que le Covid19 a précipité
près d’une centaine de millions
d’habitants sous le seuil de pauvreté, la situation devrait s’aggraver encore ces prochains mois.
D’après la Banque mondiale,
23 millions d’habitants de la région du MoyenOrient et de
l’Afrique du Nord devraient chuter sous le seuil de pauvreté. En
moyenne, une hausse de 1 % des
prix alimentaires crée 500 000
pauvres supplémentaires.
Comment faire face à cette urgence sociale, alors que les Etats
sont écrasés par le poids des dettes publiques ? 30 % des pays
émergents et 60 % des nations à
bas revenus sont déjà dans une situation de surendettement, ou en
sont proches, selon le FMI. Une
charge qui s’alourdit de jour en
jour avec la hausse des taux d’intérêt, destinée à lutter contre l’inflation. Depuis juillet 2021, au
moins 75 banques centrales dans
le monde ont relevé leurs taux.
Une augmentation qui a été deux
fois plus rapide chez les pays
émergents, signe que l’inflation
les frappe plus durement encore. Fuite des capitaux
Autre conséquence de la hausse
des taux d’intérêt, les capitaux
quittent les émergents. Le think
tank de l’Institute of International
Finance, regroupant de grands
créanciers privés, a calculé que ces
derniers avaient enregistré, en juin, des sorties de capitaux de
l’ordre de 10,5 milliards de dollars
pour le quatrième mois d’affilée,
sur une période qui n’avait jamais
été aussi longue depuis 2015. En
outre, les rendements des obligations d’Etat à long terme ont fortement augmenté dans toutes les
économies avancées, constate
l’Institute of International Finance, ce qui « augmente l’aversion au risque » et « pèse sur les flux
des pays émergents ».
La lutte contre l’inflation, qui
passe par un durcissement des
politiques monétaires, va ralentir
l’activité mondiale. L’OCDE entrevoit un PIB mondial en hausse de
3 % en 2022, un niveau plus faible
que la précédente prévision de
4,5 % publiée en décembre 2021,
tandis que la Banque mondiale
table sur 2,9 %. Lors de la récente
réunion du G20 à Bali, Kristalina
Georgieva, la directrice du FMI, a
prévenu que son organisation
abaisserait ses prévisions de croissance mondiale « à la fois pour
2022 et 2023 » d’ici la fin juillet. p
julien bouissou
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