Comment les gendarmes boursiers font la chasse aux influenceurs
mardi 23 août 2022, source : Les Echos
RÉGULATION Depuis l’explosion
du trading en ligne pendant la crise
sanitaire, de nombreux influenceurs
font la promotion du boursicotage
via les réseaux sociaux.
Matraquage de courtes vidéos,
messages alléchants, autant de
publicités adressées à un public
jeune et souvent peu expérimenté.
Parmi ces néo-boursicoteurs, de
plus en plus se plaignent d’arnaques
après avoir investi dans des
produits financiers risqués sur les
conseils de ces célébrités. Face au
phénomène, les autorités tentent
tant bien que mal de réguler des
pratiques parfois mensongères.
Mais le statut des influenceurs est
encore flou.Il ne faut pas plus de quelques
secondes pour les trouver sur Instagram,
TikTok ou YouTube : de plus
en plus de vidéos d’influenceurs
s’autoproclament « spécialistes »
du trading et des cryptoactifs… Plus
souvent pour le pire que pour le
meilleur. Car derrière la promotion
du boursicotage se cachent parfois
de véritables arnaques. Dernier
exemple en date, le youtubeur francophone
« Crypto Gouv » aurait
volé 3 à 4 millions d’euros à ses
abonnés. Le parquet de Paris a
ouvert une enquête mi-juillet.
Avec la crise sanitaire et les confinements,
une nouvelle génération
de joueurs en Bourse est apparue.
Ces néo-investisseurs sont souvent
jeunes, peu renseignés et peu expérimentés.
Ne trouvant pas leur bonheur
dans des investissements traditionnels,
beaucoup se sont lancés
sur des plateformes de trading qui
proposent des prestations attrayantes,
sans commissions, à forts
rendements, mais souvent risquées.
Ces plateformes utilisent les
codes ludiques des jeux vidéo et
poussent de manière insistante les
utilisateurs à la dépense. Eblouis
par l’ascension spectaculaire des
cryptomonnaies de 2020 et 2021,
ces nouveaux boursicoteurs ont un
fervent appétit pour le bitcoin,
l’ether et les autres cryptos. L’attrait du clinquant
Pour attirer de nouveaux clients, les
néo-brokers font souvent appel
aux influenceurs sur les réseaux
sociaux. Dans de courtes vidéos, ces
stars exposent leur mode de vie
clinquant – piscines, voitures de
luxe, boîtes de nuit, souvent à
Dubaï – tout en conseillant à leurs
abonnés de se lancer dans le trading.
Par des slogans formulés sur
fond de rap, dans un langage familier
et un français parfois approximatif,
ils interpellent les internautes
: « Comment tu crois que je suis
devenu millionnaire ? » « Passe à
l’action pour faire des bénéfices, mon
frère. » « Les hommes mentent, pas
les chiffres de ton compte bancaire. »
Problème : de plus en plus de jeunes
investisseurs perdent beaucoup
d’argent en suivant de tels
« conseils ». Sur les réseaux
sociaux, les témoignages se multiplient.
La Direction générale de la
concurrence, de la consommation
et de la répression des fraudes
(DGCCRF) évalue à environ 500 millions d’euros les arnaques
sur les produits financiers en 2021.
Pour les cryptoactifs, elle estime
que le préjudice moyen se situe
entre 20.000 et 40.000 euros.
L a l e n t e u r d e s autori t é s
contraste avec l’explosion du phénomène
sur les réseaux sociaux.
Certes, l’emblématique condamnation
de Nabilla par la DGCCRF en
décembre dernier à 20.000 euros
d’amende pour pratiques commerciales
trompeuses – elle vantait les
mérites d’une formation au trading
– a marqué les esprits. Mais depuis,
le cadre légal n’a pas vraiment évolué.
Il permet aux influenceurs de
poursuivre en toute tranquillité
leurs activités de promotion de
divers produits financiers.
Les prestataires de services
financiers (plateformes de trading,
conseillers financiers…) doivent
pourtant s’enregistrer auprès de
l’Autorité des marchés financiers
(AMF). Et, à ce titre, ils doivent
communiquer « des informations
claires, exactes et non trompeuses,
notamment les informations à
caractère promotionnel, qui sont
identifiées en tant que telles. » Ils
doivent aussi avertir les clients « des
risques associés aux actifs numériques
», dit la loi. Mais ces influenceurs
ne sont pas considérés
comme des conseillers financiers.
A entendre l’AMF, leur discours
s’apparente à de la publicité. Même son de cloche du côté de la DGCCRF.
Ils sont donc soumis au Code
de la consommation et aux règles
qui s’appliquent en matière de
publicité. La DGCCRF peut sanctionner
les pratiques commerciales
déloyales ou trompeuses. Contactée,
celle-ci assure que « d’autres
dossiers sont en cours de traitement.
Nous ne rencontrons pas d’obstacle
juridique pour le moment, mais il
nous faut du temps pour appréhender
le phénomène. »
« Je ne suis pas conseiller financier,
et je le répète chaque fois à mes
abonnés », martèle de son côté
l’ancienne star de la téléréalité,
Marc Blata, interrogé par « Les
Echos ». « Je mets un message
d’avertissement dans mes boucles
Telegram pour [que mes abonnés]
comprennent les risques. Je leur dis
qu’il n’existe pas de formule magique pour gagner de l’argent », se défend
l’influenceur aux quelque 4,4 millions
d’abonnés sur Instagram. Il
fait partie des figures violemment
épinglées par le rappeur Booba, qui
a lancé une véritable guerre contre
les arnaques aux produits financiers
sur les réseaux sociaux.
Matraquage de vidéos
Le discours des influenceurs,
comme celui des autorités, se
heurte pourtant à la réalité. Le
matraquage de vidéos promotionnelles
influence véritablement les
boursicoteurs, surtout les plus jeunes.
De plus, la mention « contenu
sponsorisé » – obligatoire lorsque la
personne est rémunérée pour
publier des contenus – est souvent
particulièrement discrète.
En outre, si les « gros » influenceurs
semblent prendre quelques
précautions, les « petits » font nettement
moins attention. Sur TikTok,
le réseau social prisé des adolescents,
les chaînes de copy-trading
(envoi de signaux via des boucles de
messagerie pour jouer en Bourse,
souvent sur le Forex) se multiplient,
alimentées par des créateurs de
contenus particulièrement jeunes
qui n’hésitent pas à tenir des discours
bien plus directs, comme
« Gagne 5 0 0 e u r o s e n une
semaine ». Ils sont souvent sponsorisés par des plateformes ou des
sociétés vendant des formations
sur les cryptomonnaies.
A défaut de guérir, l’AMF tente de
prévenir. Le gendarme des marchés
financiers a lancé des campagnes
de communication adressées aux
jeunes sur Instagram et TikTok.
Objectif : les informer du danger
des publicités sur le trading et les
éduquer au fonctionnement de la
Bourse. Mais le rapport de force
laisse songeur. Sur Instagram,
l’AMF est suivie par seulement
12.000 personnes. Une paille par
rapport aux millions d’abonnés de
certaines figures d’Instagram.
En juillet, l’AMF associée à l’Autorité
de régulation de la publicité
professionnelle (ARPP) a lancé un
projet pour établir un certificat de
l’influence responsable en produits
financiers. Mais ce statut est davantage
prévu pour les entreprises qui
souhaitent trouver un relais sur les
réseaux sociaux que pour les internautes,
premières victimes de ces
arnaques à répétition.
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